Par Jacques Ferber.
On me demande souvent ce qu’est le stade Intégrateur-adaptatif (Jaune) dans la Spirale Dynamique, et comment ce courant s’exprime chez un individu ou dans une collectivité. Y a-t-il déjà des éléments de Jaune dans notre vie? Voici un premier article qui présente les caractéristiques fondamentales de ce courant qui s’est surtout développé ces vingt dernières années, et qui, d’après moi, sera globalement la norme dans les pays développés d’ici quelques dizaines d’années.
Note: les références aux couleurs correspondent à des stades de développement individuel et collectif. Nous les avons présenté à plusieurs reprises:
Ce courant intégrateur-adaptatif est caractérisé par une vision systémique, une capacité d’agir à partir de ses passions et de ses talents, à vivre de manière éthique en voulant contribuer à l’évolution globale du monde en trouvant des solutions simples et bien adaptées. L’individu pour lequel Jaune s’est développé en lui agit de manière fluide, en utilisant son intuition et son ressenti. Il est curieux du monde, intéressé par les sciences, et notamment les neurosciences, comme par la spiritualité qu’il n’oppose plus mais qu’il intègre en un tout cohérent. Peu intéressé personnellement par l’argent, il n’a rien contre et sait l’utiliser pour accomplir ce qui leur tient à coeur. Toutes les monnaies (argent ordinaire, bitcoin, SEL, monnaies libres, etc.) sont simplement des moyens pour faire aboutir des projets. Ce qui important ce n’est pas l’accumulation des biens ni la réussite financière, mais la satisfaction de pouvoir mener à bien les projets qui lui tiennent à coeur, pour lequel l’argent est une énergie, une ressource comme une autre.
L’individu mû par Jaune est adaptatif et flexible, ce qui lui permet de prendre en compte les changements qui peuvent arriver à tout moment. Tout peut arriver à tout moment, tout est «ok». Il n’en veut pas aux autres si quelque chose ne se passe pas comme il le voudrait. Il ne «prend pas sur lui» non plus. Simplement il lâche prise et accepte les choses telles qu’elles sont. Son «mindset» c’est à dire sa manière de voir le monde et d’aborder la vie n’est pas fixe comme dans les courants précédents. Il fait plus fonctionner son cortex pré-frontal et moins son cerveau limbique pour prendre une décision, comme le montre le Dr Jacques Fradin, spécialiste de neurosciences.
S’ennuyant facilement, il zappe facilement d’un sujet à l’autre, d’une activité à l’autre. Il peut aussi faire plusieurs choses en même temps, ayant développé des capacités multi-tâches du fait des jeux vidéos et des réseaux sociaux. Il a tendance à être très solitaire tout en étant en permanence connecté avec les autres. Son mode de relation privilégié est le réseau dans lequel il n’y a pas de hiérarchie de statut ou de pouvoir. Il s’adresse de manière privilégiée et directe à ceux qui ont une compétence sur un certain domaine en faisant fi des protocoles. Il ne cherche pas à partager pour le partage (aspect Vert), mais il fait en sorte que ceux qui ont quelque chose à dire d’intéressant s’expriment. Il n’est pas communautaire et aime la solitude, tout en étant toujours relié à ses proches. De ce fait, intéressé autant par la nature, les personnes et l’électronique, il est très nomade. N’étant attaché ni aux personnes, ni aux choses et encore moins aux lieux, il se déplace facilement avec ses appareils mobiles qui lui tiennent lieu de mécanismes de connexion.
Mais parfois, plusieurs individus ayant cette même vision du monde Jaune se rejoignent et se mettent ensemble. Ils fonctionnent alors avec des méthodes de travail de type «Agile» fondées sur la réactivité, l’adaptabilité, et le travail en réseau. On parle d’efficience parfois, pour montrer qu’il s’agit non seulement d’obtenir le meilleur résultat dans le plus petit laps de temps, mais aussi d’utiliser le moins de ressources possible. Cela renvoie à une rapidité extrême due à l’adaptabilité (et non à la vitesse et au stress), au lâcher-prise («pas important que ce soit mon idée qui soit retenue, ce qui est important c’est qu’on avance»), ainsi qu’au mode de prise de décision, fondé sur une intégration de l’intuition, d’une vision générale, de l’enthousiasme et de l’intelligence collective. Les décisions sont prises de manière intuitives, mais elle ne sont pas irrationnelles, car on peut souvent tracer leur rationalité a posteriori.
Les conférences TED (et TEDx) constituent de très bon exemples du mode de fonctionnement de Jaune lorsqu’il commence à prendre une forme collective. Chaque conférence de 5 à 15mn maximum, va directement à l’essentiel, tout en étant vivante et porteuse de messages sur différents plans. Chacun de ces «expert» est porteur d’une compétence, d’une vision du monde, qui vient entrer plus ou moins en résonance avec les talents et dimension des autres. Cela donne une image kaléidoscopique qui intégre l’art, le multi-culturalisme, la spiritualité, la psychologie des profondeurs, la technologie et les sciences, plaçant l’individu et le collectif dans une approche plus globale.
Les précurseurs
Dans les années 80-2000, les précurseurs de Jaune étaient souvent des penseurs de l’approche systémique individuelle et sociale, comme Gregory Bateson, Paul Watzlawick ou Edgar Morin, ou qui intégraient la science et la spiritualité comme Francisco Varela. On les trouvait aussi dans des métiers de l’information, comme P. Van Eersel, journaliste et écrivain qui, passé de Actuel dans les années 70-80, à Nouvelles Clés depuis les années 90, a été l’auteur de plusieurs livres qui développaient cette nouvelle pensée. Il est aussi l’un des co-auteurs du Jeu du Tao, outil ludo-pédagogique de prise de décision, qui utilise l’Intelligence Collective pour aider les participants à réaliser leurs objectifs de vie. Autre journaliste, peu connu en France mais qui a eu un impact considérable dans la Silicon Valley, Kevin Kelly. Il est le créateurs du magazine Wired, magazine techno-utopiste qui a accompagné le développement de la micro-informatique et des réseaux. Ancien routard, et auteur de livres, le titre de ses ouvrages parle directement en termes Jaune: Out of control :The New Biology of Machines, Social Systems, and the Economic World, ou What Technology Wants.
D’autres personnalités plus en vues dans le domaine public correspondent d’après moi au courant Jaune. Nicolas Hulot, bien connu des médias possède pas mal de Jaune en lui. Il est assez solitaire dans sa manière d’agir, et pense le monde dans une vision systémique en intégrant les sciences et la technologie. Ses déboires avec le parti écologiste (dont le centre de gravité est assez Vert ) lors des primaires des présidentielles de 2012 est assez caractéristique: sa position nuancée sur le nucléaire ainsi que l’utilisation de sponsors industriels pour son émission est tout à fait caractéristique des valeurs Jaune qui ne se situent jamais dans une perspective binaire («le nucléaire c’est mal, le solaire c’est bien») mais qui pense toujours en termes de système: comment utiliser des structures actuelles et transformer leurs aspects négatifs en puissance positive, un peu à la manière des pratiquants de Judo ou d’Aïkido. On retrouve le même état d’esprit chez des personnalités comme Tony Robbins («la seule voie impossible est celle dans laquelle vous n’allez pas», Howard Bloom, Al Gore ou Bill Gates (depuis qu’il a développé sa fondation avec son épouse Mélinda) qui savent utiliser un grand nombre de moyens pour parvenir à faire partager leur vision visant à résoudre les problèmes posés par les conditions de vie actuelles et à faire évoluer le monde plus harmonieusement. Attention: ces personnalités sont assez controversées, surtout depuis le point de vue Vert qui confond facilement Orange (qu’il connait et déteste) et Jaune (qu’il ne comprend pas).
D’ailleurs, Internet est une technologie, le réseau, qui s’est développée avec le courant Jaune. En effet, les technologies de la Silicon Valley n’ont pu apparaître que dans un contexte libertaire mêlant les visions hippies des années 70 et la passion d’entreprendre («tout est possible») avec une organisation souple et adaptative du travail. Comme le montre, Steve Jobs, la figure emblématique de ce courant de pensée lorsqu’il s’incarne dans des objets de notre quotidien, la passion, le travail et la quête de la simplicité dans un monde complexe, sont à la base du succès. L’argent n’est pas le moteur de la réussite, mais l’argent constitue à la fois une énergie et un effet secondaire de la passion à réaliser ce qui est important pour nous:
«Votre travail va occuper une grande part de votre vie et la seule façon d’être bien avec est de faire ce que vous croyez être un grand travail. Et la seule façon de faire un grand travail est d’aimer ce que vous faites. Si vous ne l’avez pas encore trouvé, continuez à chercher. N’abandonnez pas. Comme tout ce qui concerne le cœur, vous savez que vous le trouverez.
«Focalisation et simplicité» a été l’un de mes principaux mantras: . Faire simple peut être plus difficile que faire complexe. Il faut travailler dur pour clarifier votre pensée et aboutir à la simplicité. Mais cela vaut le coup, car à la fin, une fois que vous l’avez atteint, vous pouvez déplacer des montagnes» Steve Jobs.
Des jeunes qui prennent en main leur éducation
Mais depuis quelques années ce sont les jeunes (moins de 35 ans pour donner une idée) qui ont pris la relève et qui proposent de vivre avec enthousiasme leur vie. On les rencontre beaucoup sur le Net, car c’est leur terrain d’élection. Cela leur permet de surfer sur cette vague de la complexité avec humour et distance vis à vis de ce qu’ils font, tel Jason Silva qui nous donne des cours de philosophie en quelques minutes, illustrant ses propos de vidéos rapides et parlantes. C’est vif, intégré aux sciences actuelles (et non aux pseudo-sciences), créatif, motivant, entraîné par une énergie positive de curiosité et d’engouement pour comprendre et ressentir tous les aspects de la Vie:
Il est facile de voir Jaune à l’oeuvre dans le domaine de l’éducation. Pour ce courant, les systèmes traditionnels ne sont pas efficaces. Il est nécessaire de repenser l’éducation en en faisant quelque chose que chacun puisse s’approprier en développant son propre parcours. Le livre «Hacking your education», en est un bel exemple. L’auteur, Dale Stephens, n’a pas été à l’Université ni fait de grandes écoles, mais il a créé son propre parcours éducatif, en développant des méthodes d’apprentissage individuels mettant en jeu le travail personnel, les cours en ligne, et d’une manière générale le réseau et la solidarité.
L’exemple le plus impressionnant est celui de Logan LaPlante, 13 ans en 2013, qui a arrêté l’école traditionnelle à l’âge de 9 ans, et a continué ses études sur un mode à la fois solitaire et en relation, typique de Jaune. Il parle de son projet futur: être heureux. Mais ça va bien plus loin que ça. Je vous conseille de visionner sa vidéo que je trouve particulièrement inspirante alors qu’il n’a que 13 ans en 2013.
Note: il y a la possibilté de mettre des sous-titres en français.
Il ne parle pas d’écoles alternatives, comme peuvent l’être les écoles Montessori ou les classes Freinet, mais de «visions du monde», de manière d’aborder la connaissance et la Vie. Cette vision intègre aussi bien les cours théoriques de physique que la couture, la pratique de sports de glisse ou l’acrobranche que la réflexion. Mais à l’inverse de ce qui se fait dans notre système éducatif, il ne s’agit pas d’enseignements séparés, de matières isolées les unes des autres, mais de savoirs et de savoir-faire reliés, permettant d’atteindre ses buts et de réaliser ses passions.
Il est intéressant de suivre Logan LaPlante, car il a refait une autre video cette année, à l’âge de 14 ans. On bouge vite à cet âge. Plus mature, plus «ado», il parle non plus seulement de lui, mais aussi du changement et de cette génération Z, celle des «digital natives» (natifs numériques) qui n’ont pas connu de monde sans Google ni les téléphones mobiles et qui considèrent les CD (et ce sera bientôt le tour des livres papier) comme des supports vieillots.
Un courant en plein essor
Si le courant Jaune était encore rare il y a une douzaine d’années quand j’ai commencé à me former à la Spirale Dynamique et à l’approche intégrale, il commence à faire partie du paysage naturel. Un exemple parmi des centaines pour comprendre cette révolution qui est en marche: Emmanuel Levard, ancien élève précoce dont les résultats scolaires étaient très moyens car il s’ennuyait à l’école, et grand amateurs de jeux (tout petit il a appris à compter en jouant aux cartes), a compris la Spirale Dynamique en quelques heures, voyant immédiatement tout un ensemble de conséquences à ce qu’il assimilait. A l’âge de 26 ans, formé à l’holacracy, il est maintenant coach et formateur dans le domaine du développement relationnel et des organisations intégrales. Et je connais ainsi un certain nombre de jeunes qui ont des parcours similaires, qui se sentent très à l’étroit dans les cadres traditionnels qu’on leur propose, qui sont talentueux, qui savent utiliser les réseaux et les nouvelles technologies, qui avancent portés sur leur enthousiasme et qui commencent à créer leur vie autrement.
Aucun courant n’est meilleur qu’un autre nous enseigne la Spirale Dynamique. Simplement certains ont les capacités pour résoudre les problèmes de certains niveaux d’existence. Aujourd’hui, le monde est devenu complexe, nécessitant d’agir à la fois lai niveau local et global, de penser et de travailler en réseau, de résoudre des problèmes liés à l’écologie, la surpopulation, la malnutrition, les épidémies, la gestion des déchets, la disparition des ressources fossiles comme le pétrole, le réchauffement de la planète, etc. Il ne s’agit plus de combattre contre d’autres nations, même si des guerres existent encore, mais de résoudre des problèmes incroyablement complexes que l’on ne peut aborder à partir de formes de pensées anciennes. C’est en développant des qualités individuelles et collectives liées à ce «mindset» fondé sur la fluidité, les liens en réseau, la diminution du sens de la propriété et le partage des informations, la capacité de penser la complexité tout en agissant avec simplicité et rapidité, en prenant des décisions à partir de l’intuition et de la raison, que le monde va pouvoir évoluer harmonieusement et sortir de ce qu’on appelle communément la «crise», et qui n’est finalement qu’une transition vers d’autres formes d’organisation collectives.