Par Jacques Ferber.
L’amour et le désir sexuel sont ils deux forces différentes ? L’une qui est définie par l’autre ? ou des forces de vie distinctes ? Quelle est la différence qui existe entre amour et sexualité ? Si l’on appelle « forme relationnelles » ce qui relie deux personnes, alors l’amour et la sexualité induisent des formes relationnelles importantes.
Si l’on reprend les choses à la base, la relation à l’autre suit une évolution, et cette évolution se calque globalement sur l’évolution de l’individu, du bébé à l’âge adulte (et au-delà), ou sur celle de l’humanité dans son ensemble (avec l’idée générale assez classique que l’ontogenèse récapitule dans ses grandes lignes la phylogenèse).
Même si on a de plus en plus tendance à l’oublier de nos jours, il faut garder à l’esprit que la sexualité et l’amour sont liés à la reproduction : si nos ancêtres ne s’étaient pas désirés, nous ne serions pas là pour en discuter. On peut même dire que les formes amoureuses sont les corrélats psychiques de cette nécessité pour l’espèce de se perpétuer, et en cela il s’agit d’un drive puissant, d’une impulsion évolutive fondamentale. Le désir sexuel et amoureux n’est pas un besoin individuel, au sens où l’on a besoin d’eau et de nourriture pour survivre individuellement. On peut très bien vivre sans sexualité (cf. les moines), on peut même vivre sans relation amoureuse. Il s’agit donc plus d’un besoin de l’espèce et du groupe pour se perpétuer. Mais bien qu’il ne s’agisse pas d’un besoin, individuellement, chacun vit cette impulsion évolutive comme une pulsion, sous la forme de désir et d’amour, alors qu’il s’agit de quelque chose qui nous dépasse, dont la nécessité est au-delà de nous mêmes.
Mais cette impulsion qui nous dépasse n’est pas seulement celles du sexe et du cœur : il existe aussi un autre désir qui habite certains d’entre nous, et que l’on pourrait appeler le désir du spirituel, ce désir de donner un sens à sa vie, en s’interrogeant sur sa présence au monde et une transcendance possible. Cette impulsion, d’une manière ou une autre, notamment sous la forme de religions, a été au cœur du développement de notre humanité.
De ce fait, on peut dire qu’il existe trois pulsions liées à l’impulsion évolutive : celle du sexe, celle du cœur, et celle de l’esprit (ou du spirituel). La première est la plus forte car elle est à la base de notre survie, elle nous pousse les uns vers les autres avec une puissance extraordinaire. Il suffit de regarder l’Histoire ou de voir combien ceux qui renoncent à toute sexualité vivent finalement assez difficilement ce renoncement qui est inscrit au cœur de notre être, dans chacune de nos cellules.
Pour certains, le cœur, est une force puissante, qui relie les êtres par un amour qui va bien au-delà des dépendances. Amour de la mère ou du père pour son enfant, amour fraternelle (philia), amour passionnelle entre amants, etc. J.-Y. LeLoup et Catherine Bensaïd ont proposé une échelle de l’amour qui intègre la sexualité dans leur livre « Qui aime quand je t’aime ».
Cette échelle est très intéressante car elle permet de montrer qu’il existe des formes relationnelles différentes et que ces formes relationnelles s’expriment comme des formes d’amour. On le sait le langage amoureux est pauvre par rapport à l’ensemble des états que l’on vit, mais ces auteurs, en définissant cette échelle et en donnant un nom à chacun de ses niveaux, permettent d’avoir une vue plus claire de ce qu’est l’amour et la sexualité (même si certains aspects ne me semblent pas encore suffisants, ils proposent en tout cas une première piste féconde pour mieux comprendre les différentes formes d’amour, qui intègre le sexuel (porneia, eros) et le spirituel (agape)).
Enfin, le spirituel est aussi une pulsion qui nous met hors de nous mêmes, au-delà de notre ego, elle nous pousse à aller vers la source, à nous élever vers l’Esprit, et pour cela elle se rattache aux autres pulsions.
Plus on monte dans ces impulsions (sexe, cœur, esprit), moins la pulsion d’espèce est présente, plus elle est transformée par une autre force plus élevée, une force qui vient d’en haut et qui tente de nous élever vers plus de conscience.
Ces trois pulsions relationnelles sont liées à deux formes d’élans. La première est la force de la Terre, du fondement, qui par les différentes formes d’exploration sélective fait émerger de nouvelles structures, de nouveaux mécanismes. C’est cette force ou ce mécanisme, qui est à l’origine de notre reproduction et donc de nos attirances sexuelles. Mais il y a aussi une autre force me semble-t-il, qui n’a pas de corrélat physique, et qui vient d’en haut. Cette force-là, elle nous tire toujours vers le haut, vers la transcendance, vers un dépassement de notre propre biologie, tout en étant totalement plongé dans cette biologie. Cette force là, on peut l’appeler Dieu si l’on est croyant, ou on peut dire avec Hegel, que c’est l’Esprit qui tente de se rencontrer lui-même.. Et ces deux forces, ces deux tendances, ces deux aspects de la Vie dans sa totalité, se retrouvent individuellement dans le cœur et l’amour. De ce fait si le sexe est plutôt poussé par la sélection naturelle, par la Terre, et l’esprit par la transcendance, le cœur est lié aux deux et constitue le creuset de cette rencontre : l’endroit où Shakti rencontre Shiva, le lieu à partir duquel la totalité de l’être est unie.
Cela ne signifie pas que cette force ascensionnelle n’est pas présente physiquement : en fait elle est inscrite au cœur même des constantes physiques ! Elle est seulement vécue comme quelque chose qui vient d’en haut, qui nous entraîne vers une plus grande transcendance. C’est finalement l’émergence de la conscience dans le vivant qui est responsable alors de cette élévation.
Finalement, c’est justement cette unité entre le sexe, le coeur et le spirituel, qui justifie la présence de ce site (entre autre)…