Les femmes se plaignent souvent que « les hommes ne pensent qu’au sexe« , en émettant ce jugement avec une pointe de mépris, pour bien marquer qu’il s’agit là d’une infériorité masculine, ou tout du moins la marque d’une certaine bestialité. On pourrait argumenter en disant qu’il s’agit là d’une simple perception et qu’en fait les hommes sont beaucoup plus évolués que cela, ou soutenir qu’il ne s’agit que d’une frange de la communauté masculine mais que la plupart des hommes ont des aspirations beaucoup plus évoluées. Mais en fait, je n’ai pas envie du tout d’argumenter contre, mais au contraire d’aller dans le sens de ce jugement féminin, tout en montrant qu’il ne s’agit là que d’une vue partielle des choses et qu’il est nécessaire de l’appréhender dans un contexte plus vaste.
Car si les hommes ne pensent qu’au sexe à quoi pensent les femmes ? C’est simple : à l’amour, ou plus exactement au fait d’aimer et d’être aimé. Nombre de femmes désirent trouver l’âme sœur et vivre le grand frisson de l’amour perpétuel avec l’élu de leur cœur, ce Prince Charmant qui sera tout à la fois grand, beau, prévenant, puissant, riche, sensible, protecteur, et ayant un statut dominant (médecin, roi, rock star, footballeur professionnel, animateur de stages, etc.)… Si les hommes regardent du porno, les femmes lisent des romans à l’eau de rose comme ceux des éditions Arlequin, ou se perdent pendant des heures à regarder des soap de type « Amour, gloire et beauté ». Et nombre de femmes sur le chemin spirituel ont sur leur page facebook des photos de cœurs et de couples enlacés. L’amour, toujours l’amour…
Mais est ce réellement de l’amour ? Comme nous l’avions signalé dans l’article sur l’ouverture du cœur, l’amour humain confond souvent Amour et désir d’être aimé, ouverture authentique du cœur et demande affective (attention je met le petit ‘a’ pour caractériser l’amour humain, qui est une demande affective, de l’Amour avec un grand ‘A’ qui est don de soi). Lorsqu’une femme demande à son homme « est ce que tu m’aimes ? » est ce de l’amour ou une envie d’être rassuré comme étant « aimable »?
Cette demande affective peut être reconnue simplement dans la manière dont nous gérons notre réseau social. Une amie dernièrement me disait « dès que je suis seule, j’ai envie d’appeler mes amis pour qu’ils sachent qu’ils comptent pour moi… Mais en allant y regarder de plus près, je me suis rendu compte que c’était aussi pour qu’ils me disent que je compte pour eux »… Finalement, cet amour qui est vanté comme la valeur essentielle de l’être humain est il beaucoup plus vertueux que le désir sexuel ?
L’Eros comme puissance d’évolution
En fait, désir sexuel et amour sont deux des aspects de l’Eros, cette puissance de vie qui s’exprime dans la nature comme mécanisme d’attraction et de reproduction.
C’est l’Eros qui fait s’accoupler les mâles et les femelles, mais aussi les abeilles vers les fleurs à pollen, c’est l’Eros qui préside aux rites de fertilité de Sumer il y a cinq mille ans, comme il pousse les jeunes adolescentes à se maquiller et à mettre une mini-jupe. L’Eros utilise ainsi l’attirance amoureuse comme le désir sexuel pour parvenir à ses fins : la reproduction, c’est à dire l’engendrement de nouveaux êtres pour continuer la Vie. En effet, à un certain niveau, l’amour et le sexe ont le même objectif : faire en sorte que nous ayons des bébés et que l’espèce se perpétue. Et pour que la Vie soit, il est nécessaire que le masculin s’unisse au féminin.
L’Eros va s’exprimer de manière différente chez l’homme et la femme. Comme le montre la psychologie évolutionniste, la plupart de nos comportements relationnels datent de l’époque préhistorique, lorsque nous vivions dans des cavernes et que la reproduction et la survie dépendait de nos choix sexuels. Les hommes allaient chasser et construisaient des outils et des abris pendant que les femmes s’occupaient des enfants et de la nourriture. Les hommes et les femmes se sont ainsi sélectionnés mutuellement pour avoir le plus de chance de survivre et de se reproduire.
Les hommes, qui peuvent avoir un grand nombre d’enfants (un homme peut avoir des dizaines d’enfants sans problème), privilégient la reproduction, et recherchent essentiellement de bonne reproductrices, c’est à dire des femmes jeunes, jolies, sexy et en bonne santé. A l’inverse, puisqu’elle ne peuvent avoir qu’un nombre limité d’enfants, les femmes, en plus de rechercher de bons reproducteurs (des hommes virils, beaux et en bonne santé), sont en quête de compagnons qui pourront assurer leur survie et celle de leur progéniture quand elles seront en couches et qu’elles allaiteront leurs petits. De ce fait, elles sont friandes de leaders capables de fournir des ressources, mais aussi d’hommes prévenants et protecteurs. C’est cette forme d’attraction et de désir d’être protégée et sécurisées par un mâle dominant, tout en étant fécondées par sa puissance, que la plupart des femmes appellent l’amour. Elles ont donc plus besoin de cet amour que les hommes, qui privilégieront la capacité à survivre par eux mêmes (lire « les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus » de John Gray ou « Intégrer son identité masculine » de David Deida pour voir comment cette différence s’inscrit dans la vie quotidienne et relationnelle).
Cette différence fondamentale dans la sélection de l’autre sexe, explique pourquoi les hommes sont plus dans le sexe (la reproduction) et les femmes dans le cœur (le besoin d’être aimé pour survivre). Donc, oui, les hommes ne pensent qu’au sexe et les femmes qu’à l’affectif, et il en est ainsi depuis des milliers d’années, le sexe et le cœur constituant les deux facettes de la même pièce, la puissance d’Eros qui nous a permis de survivre et vivre jusqu’ici.
Agapé : au delà de la pulsion d’espèce
Pourtant, un grand nombre de femmes adorent faire l’amour avec leur compagnon, et beaucoup d’hommes sont capables de donner leur vie par amour. Donc cette explication n’est pas suffisante. En effet, l’équation homme=sexe / femme=cœur, n’est que le premier aspect, superficiel, de notre pulsion d’espèce. Il existe une autre puissance évolutive, que l’on pourrait appeler Agapé, qui représente le désir de communion et de dépassement du moi pour s’unir à quelque chose de plus grand que soi (le Soi justement). Cet élan de Conscience s’exprime spirituellement pas un désir individuel de s’unir au Divin à travers l’autre (et le Tout Autre). Agapé, c’est l’expression la plus élevée de l’Amour, dans laquelle les âmes se reconnaissent mutuellement comme issues de la même Source, comme faisant partie du même Océan de Vie. Et Agapé vient compléter Eros en inversant l’équation initiale sans pour autant le renier. Dans Agapé, les hommes sont en quête du Graal qui représente le féminin intérieur et l’ouverture du cœur, pour intégrer le complémentaire en eux, et réaliser la conjonction des opposés dont parle si bien C. G. Jung. Et a contrario, les femmes sont plus souvent à la recherche de l’union sexuelle totale, dans une quête sexuelle qui dépasse de loin la demande affective dont on parlait précédemment. Car en accueillant profondément l’homme qu’elles ont choisi au plus profond de leur grotte sacrée, elles s’ouvrent à des espaces d’union où les orgasmes « cosmiques » deviennent le levier de transformation et de développement de leur psyché (voir à ce sujet les articles: Le désir profond du féminin: initier le masculin à l’amour et Par delà le désir d’une Reine… L’union des corps et des âmes).
De ce fait, paradoxalement, à la deuxième octave, (la première octave étant décrite par la pulsion d’Eros sous la forme de la psychologie évolutionniste), l’épanouissement de l’homme passe par le coeur, et celui de la femme par le sexe. L’Union Sacrée ou Hiéros Gamos est alors ce moment où, en s’unissant physiquement, l’homme et la femme s’unissent en même temps à eux-même. Lorsque chacun perd sa personnalité pour n’être plus qu’un représentant des principes masculin et féminin, un dieu et une déesse, il y a création ou plutôt reconnaissance du Un. A ce moment là, chacun se dissout dans ce vaste océan où la vague réallse qu’elle est l’océan, où la Conscience s’unit à l’Amour, où la Vacuité ne fait plus qu’un avec la Plénitude.
Effectivement, les hommes ne pensent qu’au sexe, et les femmes au coeur, mais tout cela n’est que la première partie de l’histoire. Ces désirs masquent une autre dimension, une quête plus profonde, l’homme étant en quête du Cœur, du Graal, et la femme de l’Union Sacrée. Et lorsque l’Union intérieure s’effectue, lorsque le cœur et le sexe se trouvent reliés, l’Homme Nouveau et la Femme Divine apparaissent, engendrant une nouvelle vision de l’homme et de la femme connectés à leur âme et à la Vie.