Par Jacques Ferber.
Le cœur s’ouvre dans toutes les situations où l’amour est présent. Il s’ouvre avec nos enfants, lorsque nous nourrissons et protégeons ces petits êtres fragiles dont la survie dépend directement des soins que nous leur prodiguons. Il s’ouvre dans la passion amoureuse, lorsque toutes nos pensées sont dirigées vers l’être aimé, vers la Reine, ou le Roi que l’on a toujours rêvé de rencontrer, l’alter ego, l’autre nous mêmes que nous contemplons dans son rayonnement. Il s’ouvre lorsque nous ressentons la souffrance d’autrui, lorsque nous sentons un élan pour venir en aide à quelqu’un ou plus simplement lorsque nous sommes émus à la lecture d’une histoire, la contemplation d’une œuvre d’art, la vue d’un film, le spectacle de la nature sauvage. En fait à chaque fois que nous nous connectons à ce qui nous dépasse et qui nous relie à l’autre, aux autres, à la Vie.
Si les femmes sentent plus naturellement ce feu de l’amour en elle, le cœur d’un homme s’ouvre souvent beaucoup moins facilement. A la fois par sa constitution naturelle, par son histoire personnelle et par son éducation traditionnellement plus rude, il tend à garder son cœur fermé. En effet, ouvrir son cœur c’est s’exposer, devenir vulnérable aux autres et à la vie et pour de nombreux hommes, être un homme c’est être « fort ». Et «être fort» est souvent compris comme ne devant éprouver aucun sentiment, alors que la puissance réside justement dans le courage d’oser sa vulnérabilité, sans pour autant devenir faible. Je me souviens notamment d’un moment où ce bouchon qui était sur mon cœur s’était levé. Je pleurais, pleurais, et en même temps, plus je pleurais, plus je sentais de puissance en moi. Amour et puissance ne sont pas du tout antinomiques…
De plus, le cœur d’un homme est un organe réceptif qui a pu être « abusé » par une mère trop présente et trop insistante, ayant déversé sur son garçon le trop d’amour qu’elle n’arrivait pas à épancher dans ses relations personnelles. Dans ce cas, le garçon s’est fermé à cet amour et toute nouvelle ouverture est vécue, dans un premier temps, comme un envahissement, comme une tentative d’avoir une emprise sur sa personne. Les blessures du cœur sont nombreuses : manque de reconnaissance et d’amour, trahison de l’être aimé, rejet… Tout cela a pu nous blessé et nous avons enfermé notre cœur dans une armure pour le protéger en se disant : « jamais plus je n’aimerai, jamais je n’ouvrirai mon cœur, jamais plus je ne serais faible car je ne veux plus souffrir ». Et malheureux que nous sommes, si nous avons été fidèles à ce serment, car ce faisant nous avons fermé l’accès à une partie essentielle de nous mêmes, nous emprisonnant nous mêmes dans un monde sans amour.
Ouvrir son coeur, ce n’est pas nécessairement souffrir comme on peut souvent l’appréhender. La souffrance vient de l’attachement, c’est-à-dire de l’identification de notre personne au lien qui nous unit avec quelqu’un d’autre. Dans les premiers temps de notre vie, la relation fusionnelle à notre mère a comblé tous nos besoins. En grandissant, nous pouvons éprouver le désir de retrouver ce paradis perdu avec l’autre, afin qu’il vienne combler nos manques, réparer nos blessures, et satisfaire ce que nous vivons comme des besoins, là où il n’y a souvent que faim et avidité. Ce qui est pris pour de l’amour est alors constitué autant de sentiments profonds que de névroses, projections et attentes inconscientes. Beaucoup d’amours qui avaient commencé sous la forme d’une passion amoureuse finissent par une amère déception lorsque le voile de l’illusion se déchire. Car on croit aimer et avoir le cœur ouvert, là où il n’y a finalement que demande d’être aimé et d’être reconnu. Combien de « je t’aime » devraient être traduits par des « aime-moi » !
C’est pourquoi il est important de soigner nos blessures, de se laver de tous les abus, de toutes les trahisons que nous avons subi et toutes celles que nous avons infligées en retour. Nous pouvons alors sortir du statut de victime à celle d’être adulte, et passer du jugement et de l’accusation au pardon. Et le pardon, à soi et aux autres est essentiel car tant que nos blessures restent trop ouvertes, tant que nous n’avons pas pardonné aux autres et à nous même, on ne peut pas réellement se libérer de ce carcan que nous nous sommes posés sur nous mêmes. Enfermé dans notre prison mentale, coupé du cœur, nous apitoyant sur nous mêmes et éprouvant du ressentiment pour ceux que nous pensons nous avoir blessé, nous nous déconnectant en fait de notre âme, qui est fondamentalement amour envers les autres et la vie.
Pour vraiment aimer, il est nécessaire de pouvoir d’abord s’aimer profondément soi-même dans ce que l’on est, et ne pas demander aux autres de combler ce manque d’amour et de reconnaissance qui ne pourra jamais être satisfait ainsi. Ensuite, aimer c’est aller vers l’autre, en donnant de soi, et surtout en cessant de reprocher à l’autre nos insatisfactions.
L’amour, ce n’est ni l’attachement, ni le comblement de nos manques, ni même la simple attirance, mais la reliance à la Vie, au travers de l’autre, au travers de la relation. Dieu est « l’avec », ce qui relie les êtres, ce qui fait que nous ne sommes pas profondément séparés, et le cœur est le centre énergétique et émotionnel par lequel nous en faisons l’expérience. Agir à partir du cœur c’est sentir en soi une impulsion pour donner, partager, soigner les autres et le monde. Dans ce don, nous ressentons la souffrance des autres au plus profond de nous mêmes, et nous voulons faire quelque chose par empathie avec autrui. Ce don qui provient du cœur, qui n’est soumis à aucune obligation, à aucune règle morale ou loi, nous purifie, nous allège, nous met en contact avec la Vie dans son essence même. Nous pouvons alors sortir de notre comportement narcissique centré la satisfaction de nos désirs et que l’on nomme parfois « besoins », pour faire l’expérience de la Joie essentielle qui s’exprime toujours comme un don mutuel et une reliance profonde entre les êtres.
Lorsque notre cœur est prêt à s’ouvrir, lorsque nous sommes plein de gratitude envers la Vie qui a fait que nous existons et si nous agissons de plus en plus à partir du cœur et non du mental ou de désirs égoïstes, si nous développons des pratiques énergétiques visant à cette ouverture, la Grâce parfois survient et nous faisons l’expérience de l’amour inconditionnel. On ressent un flux énergétique d’amour provenant du chakra du coeur (au centre de la cage thoracique) nous envahir et nous éprouvons alors un sentiment extatique, total, indicible. Ce n’est plus un amour porté sur quelqu’un ou quelque chose, mais un amour sans objet véritable, qui nous fait aimer tout ce que notre regard contemple, qui nous fait voir le monde dans sa beauté, dans son merveilleux.. Le divin est là, devant nous, à l’intérieur de nous, dans cette ivresse sublime du corps et du cœur.. On le sent alors : il n’y a rien à aller chercher au-delà, tout est là, dans cette présence à soi, au monde et au divin. Nous pouvons alors faire l’expérience de ce lien avec tout ce qui nous entoure en ressentant notre appartenance à la Vie. Alors l’aspect crispé de l’ego disparaît. Il n’y a plus que l’Amour, la joie de vivre, le bonheur de faire partie de ce grand organisme dont nous ne sommes qu’un élément et nous faisons alors l’expérience du Divin dans tous ses aspects.
C’est une voie qui apparaît initialement plus naturelle pour les femmes (cf Thèrése d’Avila), mais lorsque le cœur d’un homme s’ouvre, l’intensité de l’amour qu’il éprouve est incommensurable, comme le montrent les poèmes d’amour de Rumi, un des grands initiés du Soufisme.
En effet, l’amour est un feu sacré qui nous amène à faire l’expérience intime du secret de la Vie. Il nous dit ce que nous n’arrivons pas à dire avec des mots, avec ce sentiment ineffable qui ne peut être décrit à celui qui ne l’a pas vécu. Il nous ouvre à un dépassement de notre personne, et nous délivre de notre enfermement sur nous mêmes, de notre ego, en nous faisant pénétrer, ici et maintenant, dans le Paradis Eternel, dans ce Royaume de Dieu qui n’est qu’Amour.
Note: cet article a été écrit en avril 2009. Il a ensuite été repris et modifié par Jacques Lucas pour devenir la carte du Coeur dans les Cartes de l’Homme Nouveau. Je l’ai aussi mis à jour, pour qu’il soit plus conforme à mon ressenti actuel. Le fait qu’il ait été écrit initialement dans le cadre du jeu explique qu’il soit plus tourné vers le masculin. Mais une grande partie de l’article est valable aussi bien pour les hommes que pour les femmes.