La violence est le signe de la faiblesse

par | 2 Déc 2020 | Société

Par Jacques Ferber.

Les mots ont un pouvoir incroyable: dans leur association (synonymes et antonymes) ils créent des espaces sémantiques dans lesquels nous nous lançons, sans être conscients que cela façonne notre vision du monde, et donc nos actions et nos comportements, comme nos engagements politiques et familiaux l Et sans le voir, sans s’en rendre compte nous jugeons le monde et nous agissons à partir de ces lunettes déformantes et colorées. La conscience consiste simplement à tenter de nettoyer ces lunettes, de leur enlever un peu de leur pigment pour nous montrer d’autres espaces et ainsi nous ouvrir à une plus grande largeur d’esprit.

Prenons par exemple ce champ sémantique autour de la puissance, souvent associé au pouvoir, tellement associée d’ailleurs qu’en anglais le mot “power” désigne aussi bien le pouvoir que la puissance. Sur le plan sémantique, la puissance est aussi reliée à la force, à la domination, à la dureté et à la violence et elle a pour antonyme la faiblesse, la fragilité, la mollesse.

Puissance vs Force

Mais si ce n’était pas vrai: si ce n’était pas la puissance qui conduisait à la violence, mais bien au contraire la faiblesse, qui s’appuie sur la force et la manipulation pour créer la violence?

En travaillant pendant des années avec des éthologues, des chercheurs spécialistes du comportement animal, pour modéliser les comportements sociaux des animaux tels que les fourmis, les meutes de loups et les grands singes, j’en suis venu à reconsidérer mes croyances portant sur la domination par la violence. J’en ai profité pour regarder très attentivement le comportement des chats qui naviguaient chez nous. J’ai vécu pendant 10 ans au milieu de trois chats, dont certains pas opérés, qui attiraient les autres chats du voisinages au moment des chaleurs. Et mes observations sur les chats ont corroborés ce que les éthologues disent: ce ne sont pas les dominants qui font preuve de violence et d’agression directe, mais bien au contraire ceux qui n’ont pas ce statut. Ce sont les mâles lambda de la meute de loup qui montrent les dents, tout en reculant devant le mâle alpha. Ce sont les chats qui se sentent les plus démunis et menacés qui hérissent le poil et crachent. Ce sont les chimpanzés dominés qui tentent de faire croire qu’ils ne le sont pas tant que ça. Comme chez les humains: c’est la faiblesse qui conduit à la violence:

C’est ce qu’à très bien compris le philosophe Vladimir Jankélévitch qui, après avoir vécu dans l’enfer des camps de concentration, a créé une œuvre philosophique subtile qui met la douceur au centre de l’être: « La puissance s’oppose à la faiblesse. La violence elle, s’oppose plutôt à la douceur ; la violence s’oppose si peu à la faiblesse que la faiblesse n’a souvent pas d’autre symptôme que la violence ; faible et brutale, et brutale parce que faible précisément… » . Vladimir Jankélévitch (Le pur et l’impur)

Dans la même veine, je suis en train de lire le livre de David Hawkins « Power vs Force », malheureusement très mal traduit par le titre “Pouvoir contre Force”, alors qu’il s’agit plus précisément de lire “Puissance contre Force”. Ce livre, qui n’est pas non plus très bien écrit, soulève cette distinction, importante d’après moi, qu’il y a lieu de faire entre la puissance qui émane de l’individu et qui rassemble, et la force qui tend à dominer l’autre par le contrôle et la manipulation:

Comme l’écrit David Hawkins : « Les faibles sont attirés par le prestige de la force, et même prêts à mourir pour lui. Comment autrement quelque chose de si atroce qu’une guerre pourrait se produire ? La force souvent l’emporte temporairement, et les faibles sont attirés par ceux qui semblent avoir triomphé de la faiblesse. Comment, autrement, une dictature serait-elle possible ? La puissance est associée avec ce qui soutient la vie, et que la force, elle, est associée avec ce qui exploite la vie, au profit d’un individu ou d’une organisation. La force divise, et, par cela, affaiblit, alors que la puissance unifie. La puissance découle du sens, de la signification. La puissance est toujours associée avec ce qui entretient l’importance et la signification de la vie même. Elle parle à cette partie de la nature humaine que nous appelons noblesse. »

De la faiblesse à la violence

La figure ci-contre tente d’exprimer cette séparation archétypale qui provient du fond des âges et qui oppose Puissance et Force. Tout vient au départ d’une impression d’impuissance, de faiblesse absolue, de sentiment d’infériorité, d’humiliation, etc. Ce qu’Alfred Adler, l’un des compagnons de Freud dans le développement de la psychanalyse, a appelé le complexe d’infériorité. Au départ, tout les enfants passent par le sentiment d’être faible devant la toute puissance maternelle et paternelle.

Mais s’il y a de l’amour, de l’écoute, de l’accompagnement aligné, l’enfant prend ensuite de l’assurance, grandit et donne l’impression que ce sentiment de faiblesse a disparu. Mais pour certains, ce complexe perdure, et toute leur vie consistera à compenser ce sentiment initial, cette identité négative, en faisant usage de la Force, la manipulation, la violence, l’usage de la terreur envers autrui, pour simplement tenter de réparer intérieurement ce qui donne l’impression d’être à jamais cassé.

Alfred Adler, en 1920, prenait l’exemple de Napoléon qui devint Empereur pour combler cette petitesse intérieure de Bonaparte. Aujourd’hui on pourrait prendre l’exemple de nombre de personnages politiques dans le monde qui défrayent la chronique (Trump, Sarkozy, Holland, etc.). Car au fond de chaque être humain réside souvent cette impression de petitesse, qui ressort sous la forme de sabotages, de syndrôme d’usurpateur, de manipulations en tous genre pour parvenir à ses fins, de projections du grand méchant qui orchestre tout (complotisme), et surtout de colères, de violences verbales, physiques ou sexuelles.

Le chemin du héros, analysé par Jung et Campbell de manière séparée, consiste justement à sortir de cette gangue de petitesse pour prendre sa puissance.

C’est Aragorn du Seigneur des Anneaux qui doit oser prendre en main l’épée brisée par son père, reforgée par son anima-elfe, Arwen. Il va ainsi affronter ses ennemis (ses peurs) et notamment la tentation absolue du pouvoir de la Force, lequel est représenté par Sauron et son anneau, pour finalement devenir Roi (symbole de la réalisation masculine) uni avec son épouse devenue « réelle » (Arwen a abdiqué son statut d’elfe pour devenir mortelle). J’aimerais un jour pouvoir vous décrire tout le cycle de développement du Seigneur des Anneaux et vous en faire une lecture psychologique-archétypale. Si cela vous intéresse, n’hésitez pas à me le signaler dans un commentaire.

Adler explique que tout humain pencherait à développer un certain sentiment d’infériorité dès le plus jeune âge. Alors qu’il grandit et prend de l’assurance, l’enfant surpasse ce sentiment d’infériorité en prenant de l’assurance, et éventuellement, si tout va bien passer du côté lumineux de la Force1 (le chemin de la Puissance), tandis que d’autres conservent ce complexe d’infériorité et cherchent à compenser à allant dans la violence, engendrée par la haine, elle-même le fruit de la colère provenant de la peur, comme le note Maître Yoda.

C’est par un discours séduisant, que Palpatine va devenir empereur en voulant instaurer « la paix et l’ordre dans la galaxie » par un régime dictatorial. Le côté « humain » du Jedi, le fait qu’il soit tourné vers l’autre est jugé comme une faiblesse. Alors que bien entendu, c’est la peur qui crée le sentiment de faiblesse et demande un côté de protection que le côté obscur de la Force tend à combler par le contrôle des populations.

C’est parfois tentant d’utiliser la force et le contrôle pour remettre ce qui nous parait juste, et de se venger d’une injustice en considérant que « la fin justifi les moyens », afin les autres se conforment à notre point de vue. C’est tentant d’utilier la violence, le chantage ou la menace, que ce soit par vengeance ou pour toute autre raison que l’on estimerait justesse. Sauf que cette justesse prend sa source dans la faiblesse qu’elle estime immense, même si elle ne veut pas le voir de peur de sombrer dans la dépression.

Ainsi, cultivons notre puissance pour ne pas tomber dans la Force, et gardons notre libre-arbitre, sans rejeter sur les autres, la projection de nos peurs qui ne sont que les signes de notre faiblesse.

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  1. la Force dans Star War est simplement une énergie qui peut faire aller du côté de la Puissance (l’aspect lumineux de la Force que prend Luke Skywalker) ou faire pencher du côté obscur, ce qui est appelé ici la Force (désolé de la confusion), représenté par Anakin Skywalker, le père de Luke.

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