Le problème essentiel auquel nous avons à faire face, tous autant que nous sommes, c’est le vide de l’existence. Nous passons beaucoup de temps à remplir notre vie. On peut la remplir par le boulot, par une relation de couple, par les enfants, par l’amitié, par le fait de vivre des « hobbies », par le voyage, etc… En gros on passe notre temps à remplir le temps pour nous éviter, pour éviter notre centre. Pascal parlait de « divertissement »:
« Quand je m’y suis mis quelquefois, à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s’exposent, [fusion_builder_container hundred_percent= »yes » overflow= »visible »][fusion_builder_row][fusion_builder_column type= »1_1″ background_position= »left top » background_color= » » border_size= » » border_color= » » border_style= »solid » spacing= »yes » background_image= » » background_repeat= »no-repeat » padding= » » margin_top= »0px » margin_bottom= »0px » class= » » id= » » animation_type= » » animation_speed= »0.3″ animation_direction= »left » hide_on_mobile= »no » center_content= »no » min_height= »none »][…] j’ai découvert que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. […] on ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce qu’on ne peut demeurer chez soi avec plaisir.
Mais quand j’ai pensé de plus près, et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j’ai voulu en découvrir la raison, j’ai trouvé qu’il y en a une bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable, que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de près.
Quelque condition qu’on se figure, si l’on assemble tous les biens qui peuvent nous appartenir, la royauté est le plus beau poste du monde, et cependant qu’on s’en imagine, accompagné de toutes les satisfactions qui peuvent le toucher. S’il est sans divertissement, et qu’on le laisse considérer et faire réflexion sur ce qu’il est, cette félicité languissante ne le soutiendra point, il tombera par nécessité dans les vues qui le menacent, des révoltes qui peuvent arriver, et enfin de la mort et des maladies qui sont inévitables ; de sorte que, s’il est sans ce qu’on appelle divertissement, le voilà malheureux et plus malheureux que le moindre de ses sujets, qui joue et se divertit. » Blaise Pascal Pensées
Le divertissement c’est justement cette capacité que nous avons de nous activer pour éviter de nous rencontrer nous-mêmes, dans le vide, l’ennui, la solitude, voire le désespoir. Même des activités aussi calme que la lecture, regarder un film, écrire à un ami, faire la cuisine, etc. peuvent être des divertissements. En gros, notre vie est faite de divertissement qui nous éloignent de nous-mêmes. Nous sommes prêts à souffrir pendant des années dans une relation difficile, à accomplir des actes difficiles et à risquer notre vie pour nous éviter de sentir ce vide intérieur, profond, béant. L’amoureux(se) va le vivre comme un désir de retrouver et vivre avec celui ou celle qu’il aime, l’actif comme une pulsion ardente pour faire quelque chose, et l’inhibé va simplement se mettre devant son jeu vidéo pour éviter de se confronter avec lui-même. C’est notre lot d’humanité : c’est notre statut ontologique. Cette peur du vide n’est pas le résultat d’une blessure de l’enfance ou d’un traumatisme, mais simplement le fait d’exister en tant qu’être humain. C’est indépassable.
Cette capacité à nous détourner de nous-mêmes peut être utile dans la vie quotidienne : si le joueur de football savait que l’application qu’il met à faire des tirs précis ou que le musicien à faire des gammes, n’avait d’autre fonction que de le détourner de l’ennui et du désespoir, si la présentatrice à la télévision prenait conscience qu’elle tente d’exister au travers du regard des autres, pour éviter de se confronter au sien propre, il est bien possible qu’aucuns ne continueraient leurs activités avec autant de sérieux. Car finalement, il ne s’agit que de jeux que nous jouons pour nous détourner de notre être. Mais en les faisant avec sérieux, en croyant à leur importance, en croyant à leur potentialité de nous faire accéder à quelque chose (être une star, rencontrer l’âme sœur, être riche, trouver le bonheur), nous évitons le vide qui nourrit le désespoir. En effet, prendre conscience de la vanité de nos activités, et du vide existentiel qui se trouve au centre de notre être, conduit parfois au nihilisme, à cet état dans lequel on voit tous les jeux de l’existence, où tout à l’air d’être noir, où l’on se prend à maudire la Vie et Dieu. Nietzsche, Kierkegaard et Schopenhauer ont eu cette conscience, et l’on se dit que leur vie est peu enviable (lire entre autre ….) et qu’il est peut être préférable de vivre dans l’inconscience, mais relativement mieux que ces hommes, car « heureux les pauvres en esprit…« . Mais ces moments de clairvoyance et parfois d’angoisse devant le vide et le manque de sens de notre vie, nous conduit à l’une des premières prises de conscience de notre humanité. Nous sommes mortels : tout ce que nous faisons, tout ce que nous vivons, ne demeurera pas. Pire que cela. Il n’y a rien à l’intérieur de soi. Rien du tout.. On croit être quelqu’un, mais il ne s’agit que de croyances sur nous mêmes alimentées par un mental très actif. Non, il n’y a rien : c’est vide, creux, désert !! Ce vide est tellement effrayant qu’il est insupportable pour le moi, qui voit sa mort en direct dans ce vide : Je ne suis rien !! Et non on n’est rien. On passe son temps à croire que l’on est le personnage principal du théâtre de sa vie, mais nous ne sommes qu’un figurant dans le film de la Vie. Nous sommes attachés à nos relations et à nos biens, mais tout aura une fin. Comment ne pas tomber dans le désespoir ? Comment ne pas déprimer ?
Et pourtant, les enseignements les plus profonds de toutes les grandes traditions religieuses profondes (et notamment les traditions orientales) nous disent cela : nous ne sommes rien de ce que nous croyons être. Le Je suis est juste une conscience, pas une personnalité, avec ses propriétés, ses qualités de cœur et ses ombres. Même le terme « Je Suis » peut prêter à confusion, car il n’y a plus de moi au sens exact du terme… et ce Je Suis est l’endroit de connexion au divin, à notre nature profonde qui est vacuité. Entendez bien ces deux termes : vide et vacuité. C’est exactement la même chose, mais le premier est souvent perçu comme un désagrément (« je suis vide, je me sens vide »), alors qu’il est la voie vers la vacuité, shunyata, qui est en même temps plénitude, interconnexion permanente de l’impermanence de tout.
De ce fait, le désespoir, peut être le lieu de l’éveil, la dépression la porte du divin. Le dépressif qui souffre ou l’oisif cynique qui s’ennuie, peuvent être beaucoup plus près de l’éveil que le méditant qui chante des mantras à longueur de temps. Dans le premier cas, on fait l’expérience du vide existentiel, même si on le vit de manière désagréable, alors que dans le second on se repait de soi et de sa propre qualité spirituelle qui nourrit en fait l’ego spirituel et nous éloigne finalement du divin. C’est souvent dans la souffrance qu’on rencontre le divin. Non pas, comme a pu le penser la tradition chrétienne qu’il faille souffrir et se flageller pour rencontrer Dieu (bien au contraire, la rencontre avec le divin est Amour et Félicité), mais parce que, dans la souffrance, une porte s’ouvre vers le centre de notre être que nous pouvons emprunter pour aller rencontrer notre être qui n’est pas du tout « moi », mais juste du vide. Ainsi, souffrir du manque de l’autre est une voie merveilleuse d’accès au divin : ce dont on manque, ce n’est pas de l’autre, qui ne peut jamais combler fondamentalement nos béances et nos blessures, mais de l’Autre, c’est à dire du Divin… Et comment pouvoir accueillir le Divin si nous ne sommes pas déjà vide de tout notre ‘bordel’ intérieur?
Ayant eu un tempérament assez dépressif, je sais que ce furent des portes vers cet Autre que j’appelais de mes vœux lorsque j’allais mal. Mais la peur de ce vide était telle que je voulais à tout prix l’éviter, et en l’évitant je créais ma souffrance. Car la souffrance ne vient pas du vide, mais de la peur de ce vide et de tout ce que nous mettons en œuvre pour l’éviter. La souffrance commence avec cette pensée : « si j’étais ailleurs (ou si j’avais telle ou telle chose, ou si je pouvais me mettre dans un autre état), je serais mieux ». Ce n’est pas l’état qui est terrible, mais le fait de vouloir changer l’état présent dans lequel nous sommes. Bien entendu, le moi ne veut pas vivre cela, car le vide le remet en question, le détruit. Le vide est vécu comme une mort par le moi, et qui a envie de mourir. Mais c’est totalement OK pour ce que Jung appelle le « Soi », les hindous l’atman, et que nous vivons à la première personne comme Je Suis, pure conscience d’existence. En général nous confondons totalement le moi, l’âme et le « je suis ». Nous confondons notre petit ego, avec ses petites envies et qui crie en permanence « moi, moi, moi », l’âme qui est le canal actif du divin en nous, et dont on fait l’expérience au travers de l’Amour, de la Créativité et de l’Enthousiasme, et l’atman ou Eyeh, ou « je suis », qui est pure conscience, pratiquement détachée du corps. (je reparlerai un jour de ses distinctions, qui me semblent essentielles).
C’est pour cela qu’il est important de développer une certaine distance par rapport au moi, de se désidentifier de ses pensées, de ses jugements, de ses envies, etc… de prendre de la distance par rapport à ce fatras de petits désirs, de projections, de croyances, de ressentiments, de peurs, de vouloir avoir, etc. qui sont le lot du moi et du mental, les deux ne cessant de se conforter l’un l’autre. Cette désidentification est souvent apportée par la méditation, qui nous permet justement, en calmant le mental, de faire taire un peu l’ego et éventuellement, un jour, de contacter le Je Suis, parfois appelé aussi Témoin, au delà du mental (Note pour les pratiquants de PNL, la « position méta », moment important de la prise de conscience de ce que nous sommes, n’est que la première marche vers le Je Suis, mais ce n’est pas le Je Suis, car le Je Suis est au delà du mental, conscience pure et présence qui est toujours là, qu’on le sente ou non).
Mais il existe une autre voie, plus rapide, mais souvent plus difficile à vivre car elle nous demande d’entrer dans notre souffrance, et non de nous éviter. C’est la voie du Tantra, qui consiste justement à faire l’expérience de cet instant présent, sans essayer d’être autre chose que cela. Il s’agit simplement de rester présent à soi-même, dans ce vide, en sentant notre corps, en mettant juste un peu d’attention dans les pieds (pour rester en contact avec l’instant présent et le corps) dans la Grotte Sacrée pour les femmes (sexe, uterus, ovaire, toute cette zone que l’on appelle Womb en anglais), et dans les testicules et le hara (le ventre des arts martiaux) pour les hommes. Rester présent sans laisser le mental prendre les commandes, rester juste avec ce que l’on ressent, avec ses émotions, avec ce qui vient. Automatiquement, notre état va changer, passer dans d’autres émotions, avoir d’autres images.. Il y aura peut être des moments difficiles, des peurs qui resurgiront, des blessures anciennes qui seront ravivées. Mais si l’on ose rester dans cette attitude de présence à soi, de contact direct avec son corps et ses propres ressentis, sans se laisser embarquer par le mental, avec son cortège de remords, de honte, de « j’aurais dû (ou pas dû) faire ça », de jugements « je suis nul(le), etc. », d’accusations « c’est vraiment un salaud », si l’on reste ainsi, dans le calme du mental et la présence à soi, alors quelque chose va se passer, un nouvel état va advenir de lui-même, qui sera la marque de notre contact avec notre nature profonde, au delà de l’ego.
Il est très difficile de faire sentir le Je Suis à quelqu’un, car il n’est pas un objet, un support qui aurait des propriétés, mais simplement le sujet à partir duquel nous faisons l’expérience de quelque chose, ce que Husserl appelait l’ego transcendantal. Ce Je Suis est nous depuis que nous avons commencé à avoir conscience, et il sera là jusqu’à la mort. Mais comme il n’est pas l’objet d’une expérience ou d’une sensation, on ne le sent pas. Donc « contacter » le Je Suis, c’est être ce qui sent dans la sensation, l’expérienceur de l’expérience, la lumière de l’appareil de projection. Et on le sent d’autant plus que l’expérience est subtile et fine, donc que le mental est calme et que l’objet de l’expérience est faible. Et c’est donc bien naturellement dans le vide que cette présence est plus marquée. C’est pour cela que les méditants recherchent le calme, les moines se coupent du monde, et qu’il y a de plus en plus de voyages dans les déserts. Dans le vide, l’Etre du Je sans objet se révèle dans toute sa plénitude. Au delà du vide, Je Suis…
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